J’ai donc déménagé il y a quelques jours, pour me retrouver dans le quartier du “Plateau”, au beau milieu des ministères. Ma case est même appelée la case “Primature” par les gens de l’université, parce que je me trouve en ce moment (j’écris dans ma chambre) à quelque 50m (en tout cas à vol d’oiseau) du cabinet du Premier Ministre, Hama Amadou. Tout autour, il y a différents bâtiments (de plain pied) abritant les divers services rattachés au cabinet du PM.
Ici c’est comme à Lomé, c’est-à-dire que si un jour tu as besoin de faire des démarches administratives ou judiciaires, tu sais que tu viens seulement dans le quartier en taxi, et tu pourras tout régler à pied ensuite. Si au Ministère de la Justice on te dit qu’en fait pour l’affaire qui te concerne tu dois aller voir au Ministère des Affaires Étrangères ou bien que tu dois aller voir l’avocat Untel, eh bien tu n’as qu’à sortir et traverser la rue pour poursuivre ton aventure. À deux pas de chez moi, on trouve l’ambassade d’Italie, l’ambassade d’Allemagne, juste en face la repésentation du FMI au Niger. Il y a aussi beaucoup de services liés au ministère de l’intérieur : le ministère lui-même, plus loin une propriété distincte abritant le service des frontières (attention ce ne sont pas les douanes, mais autre chose, un service plutôt lié apparemment à la gestion des problèmes frontaliers et revendications politiques liées. J’enquêterai là-dessus plus tard). Dépendant également du Ministère de l’Intérieur, on a un “service pour la protection des hautes personnalités”. Même traitement : une propriété séparée, un tas de personnel à entretenir même si l’activité à l’intérieur du bâtiment semble très limitée voire inexistante, etc.
Ah oui, j’allais oublier : les Ministère des Affaires Étrangères (beau bâtiment) et la présidence de la République ne sont pas loin non plus, disons 5 minutes à pied. Là ça change de Lomé, sur au moins deux points :
- les dirigeants ne vivent pas retranchés dans des bunkers ou d’immenses villas dorées, à l’écart de l’activité urbaine.
- la présence policière et militaire devant ces lieux n’est pas vraiment imposante. À chaque fois que je passe devant la Primature, je compte en moyenne 3 mecs en uniforme, souvent deux, parfois cinq (à l’heure du thé). Le portail de la Primature est quasiment toujours entrouvert, et je peux m’approcher à trois mètres sans que les militaires ne bougent d’un iota. On m’a expliqué que lorsque tu rentres on te demande simplement si tu as rendez-vous, ça fait penser à un cabinet médical. Il doit y avoir une salle d’attente avec des magazines 
Enfin, notre Afrique dictatoriale et militaire, et tout particulièrement le Togo, m’avait habitué à autre chose.
Le vrai pouvoir est dans le spectacle. Comme le Plateau n’est pas un quartier populaire (désert la nuit, peu animé le jour), on a l’impression que les ministres et autres responsables politiques n’ont pas besoin de démontrer leur faste et leur force : à quoi bon, puisqu’il n’y a personne pour regarder ? Contraste frappant avec la ferveur avec laquelle à Zinder lors de la fête nationale du 18 décembre dernier, les foules se pressaient et étaient prêtes à tout pour apercevoir le sourire benoîtement figé de Tandja Mamadou les saluant. Évidemment, pas un seul jour ne passe sans que le JT de la télé d’État ne leur donne à contempler pendant 10 minutes au moins la figure du Président, du PM ou du Président de l’Assemblée à l’occasion de tel ou tel discours, de tel ou tel déplacement. Les icônes télévisuelles cachent de petits bâtiments endormis.
Derelict
En anglais on a deux mots (au moins !) pour décrire l’état des bâtiments dans le coin, symptômatique de beaucoup de choses. Je pense à “run-down” et “derelict”. J’aime particulièrement le second, je ne sais pourquoi. En français on pourrait traduire par “très dégradé”, “négligé”, “détérioré”, “laissé à l’abandon”, etc. Dans le quartier tout est comme ça. De l’autre côté de la rue, je peux apercevoir depuis la fenêtre de ma chambre un grand bâtiment dont on ne sait plus si les ouvertures en façade ont un jour contenu des fenêtres. Il peut s’agir d’un bâtiment qu’on a commencé de construire en une époque faste et qui n’a jamais été terminé, aussi bien. Un ami me racontait aujourd’hui qu’à l’époque de la fièvre de l’uranium (on découvrait à la fin des années soixante et au début des années 70 des dépôts d’uranium dans la région d’Arlit, tout à fait au nord du pays), on s’est mis à construire des maisons magnifiques où, l’optimisme des affaires aidant, on installait des climatiseurs sans même prévoir des ventilos, au cas où. C’étaient les années 75-80. Seulement au début de la décennie qui m’a vu naître, la demande en uranium a chuté fortement et l’économie du pays aussi. Elle ne s’en est jamais remise, et la corruption aidant, le Niger est aujourd’hui sur les genoux.
On dit “pays en voie de développement”, mais dans la sous-région ils sont plusieurs pays à être complètement en décadence, ou tout au moins à avoir connu un fort déclin pendant une bonne partie des deux dernières décennies. Je pense au Togo, mais le Niger est un très bon exemple aussi. Il faut venir m’expliquer de quelle manière on peut dire que le Niger se “développe” en ce moment… Lorsque le défilé de la fête nationale se transforme en défilé de matériel agricole chinois (j’ai vu ça de mes yeux à Zinder, un certain nombre de “forces vives” de la nation défilaient, dont une réprésentation des agriculteurs et du Programme National de Lutte conte le Paludisme, par exemple. D’ailleurs ce n’est pas une mauvaise chose de faire autre chose qu’un défilé militaire), lorsque tous les véhicules (deux ou quatre roues) qui circulent à Niamey proviennent des pays d’Asie du sud-est et en particulier de Chine, lorsque les téléphones portables chinois inondent le marché local de la téléphonie mobile, pour qu’ensuite les Nigériens s’appauvrissent en utilisant les réseaux GSM locaux qui fonctionnent mal et qui facturent beaucoup trop cher les communications (270 CFA la minute chez le premier opérateur national, Celtel. Le midi je mange très bien devant la fac pour 150 ou 200 CFA. Le prix d’un plat au restau U a augmenté récemment, pour passer à 125 CFA), lorsqu’on voit tout ça on se rend compte des pays qui se “développent” réellement. Je ne parle pas, bien entendu, des retombées effectives de la bonne santé économique de la Chine sur les populations chinoises, je ne parle évidemment pas de l’inéquité de la répartition des fruits de la croissance, etc, mais simplement de la croissance de leur PNB.
Ici les seuls à se développer vraiment ce sont les moustiques, c’est proprement incroyable comme ils sont nombreux dans le coin, bien plus que là où j’étais avant… La premier soir j’ai passé mon temps à applaudir comme un dératé, avant de passer aux méthodes chimiques devant leur trop grand nombre.
Je ferme la parenthèse et je reviens sur l’état “derelict” des bâtiments et des institutions ici. Ça fait bien longtemps qu’il n’y a pas eu d’eau dans la piscine qui se trouve devant ma fenêtre. Ça fait bien longtemps aussi qu’on n’a pas repeint ma chambre, bien longtemps que la chasse d’eau fuit et que personne n’a songé à remplacer le joint, bien longtemps que le chauffe-eau dans la salle de bains ne fonctionne plus, etc. Détail intéressant, le bâtiment de l’ambassade d’Allemagne, relativement imposant par rapport à ses voisins, joliment éclairé, avec quelques jolies baies vitrées, semble le seul qui résiste fièrement au pourrissement généralisé… Le légendaire sérieux allemand ?
C’est un sentiment assez frappant de se trouver devant toutes ces choses qui dysfonctionnent allègrement et de se dire qu’un beau jour, en des temps immémoriaux, tout ça a dû fonctionner correctement. Ça me fait penser aux bâtiments de l’époque coloniale sur le front de mer à Lomé, tiens.
Bon allez, j’arrête là pour aujourd’hui, concert de rap en ville ce soir. Je posterai toute cette prose demain sur mon blog.